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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Agriculture: une révolution pacifique

A la suite des articles que j’ai publié sur les OGM et l’agriculture; je reviens encore sur le sujet, au risque de vous lasser, mais le sujet est d’importance.

Le texte qui suit est l’article d’un historien italien, spécialiste de l’histoire de l’agriculture, Piera Bevilacqua, intitulé “Retour à la terre” dans le dossier “l’Héritage d’un agronome” dans la revue Slow, fin 2005. Comme, hormis les adhérents de Slow Food, personne n’a accès à cette revue qui n’est pas vendue en kiosque, je vais vous le retranscrire, parce qu’il parle d’une initiative extrêmement passionante qui pourrait bouleverser nos modes de productions agricoles.

“Divers commentateurs ont déjà insisté sur la portée politique, culturelle et symbolique d’un évènement, à n’en point douter, aussi mémorable que celui de Terra Madre. Initiative de slow Food, le rassemblement mondial de quelque 5000 paysans à Turin en octobre 2004 (10 000 en 2006) était sans précédent….Les contenus, la qualité des débats, la richesse des confrontations entre les représentants des différentes communautés… ont donné lieu à une expérience vouée à influencer le cours des évènements dans le monde des campagnes et parmi les communautés de la nourriture. C’est une projection vers le futur qui a été soulignée, ne serait ce que par son inventeur, Carlo Petrini……

Nous sommes tous d’accord sur le fait que cet évènement n’était même pas pensable il y a 10 ans. Il est devenu faisable et Slow Food a pu rassembler des milliers de paysans des quatre coins du globe parce que, en même temps, quelque chose de profond avait changé dans la conscience de millions et de millions de personnes.

Ces 10 dernières années, une transformation radicale et accélérée a touché les domaines relatifs à l’agriculture, l’environnement et la nourriture. Il s’agit d’une nouvelle prise de conscience, dans certains cas d’une réaction dramatique, pour répondre aux changements de plus en plus destructeurs, et parfois, paradoxaux, amenés par l’agriculture industrielle de notre temps. Aux 4 coins du monde , tant dans les pays postindustriels que les pays pauvres, le modèle d’agriculture qui s’est affirmé à partir de la 2ème moitie du XXème siècle donne désormais des signes évidents de non-soutenabilité. La Terre a commencé à se rebeller contre des pratiques d’exploitation de plus en plus  insensées et les populations prennent pleinement conscience du fait que les sentiers d’hier sont devenus de plus en plus étroits et impraticables. Quand certains de ces équilibres délicats se rompent, le compte finit tôt ou tard par ne plus y être sur le plan économique. En 1994 - pour prendre un premier exemple - pour la première fois dans l’histoire, en raison d’un manque d’abeilles pollinisatrices beaucoup de cultivateurs d’amandes ont été obligés d’importer des abeilles pour assurer la récolte en Californie. Les pesticides, en effet, tuent les insectes pollinisateurs dont dépend une grande partie de la production agricole. (sources: M.Ingram, S.Buchmann, G.Nabbau, Our forgotten pollinators, Protecting the birds and the bees, in A. Kimbrell, Fatal harvest,The tragedy of industrial agriculture, Island Press, San Rafael, California, 2002, p 297)

Consommateurs et agriculteurs

Mais peut-être que le plus grand paradoxe que les agriculteurs et les consommateurs du monde entier aient rencontré -dès qu’ils ont reçu une information adéquate - est que le secteur primaire, le milieu où l’on produit la nourriture pour notre alimentation, est devenu l’un des secteurs les plus pollués et les plus polluants de notre économie mondiale. A ce propos et pour donner une petite idée de la question, il suffit de rappeler qu’en 1990 déjà un rapport de l’OMS estimait à environ 25 millions les personnes empoisonnées ou intoxiquées chaque année pour cause d’emploi de pesticides ou de consommation de nourriture contaminée.  (R.Kroese, Industrial agricultural’s war against nature, in Kimbrell, Fatal harvest, p 22). On sait maintenant que, dans les monocultures industrielles d’Occident et les pays prétendus en voie de développement, on a recours depuis des dizaines d’années à des engrais chimiques qui réduisent l’humus et remplissent le sol de métaux lourds mais on utilise aussi quantité de pesticides contre des insectes de plus en plus résistants et des désherbants qui empoisonnent l’air, la terre, l’eau, les animaux et les hommes. A la fin du millénaire, les citoyens d’Europe ont été ébranlés dans leur sécurité alimentaire  suite au cas de la “vache folle”. Ils ont appris, avec effroi, comment les vaches et les veaux étaient alimentés dans leur Europe très civilisée. Le bétail destiné à notre table avait perdu tout rapport avec les pâturages, était forcé de devenir carnivores et engraissé avec des farines provenant des carcasses incinérées d’animaux morts pour de multiples raisons. ( P.Belivacqua, La mucca è savia. Ragioni storiche della crisi alimentare europea, Donzelli Roma, 2002) Au fur et à mesure que ces nouvelles informations se comportaient, un tableau de plus en plus inquiétant de la situation s’est offert à nous. Les élevages intensifs de bétail, concentrés en d’immenses villes pour animaux, produisent actuellement avec leurs déjections, près de 16% des émissions globales de méthane, considéré comme un puissant gaz à effet de serre. Dans certains pays, comme les Pays Bas, ils comptent parmi les causes responsables des pluies acides. Mais la menace à la  santé prend d’autres chemins: aux Etats-Unis, par exemple, la part d’antibiotiques utilisés pour les animaux est 8 fois supérieure à celle utilisée par les êtres humains. Une consommation qui, selon l’OMS, met en danger les possibilités futures de soigner les hommes comme les animaux. ( Worldwatch Instiutte, State of the world 2004,  Edizioni Ambiente, Milano, 2004, p 120-121)

Mais c’est dans le monde des agriculteurs, plus encore que dans celui des consommateurs urbains, que ces dernières années le malaise et quelquefois l’angoisse se sont accentués à cause de la perte de l’ancien rapport avec la terre. Phénomène commun au nord et au sud du monde. Aux USA, le personnage du farmer - sur lequel s’est appuyée la tradition démocratique du pays - est en passe de disparaître. Les agriculteurs restants sont, en fait, les employés des grandes corporations chimiques de semences et des chaînes de distribution alimentaire auxquelles ils donnent leur produit. Non seulement ils sont de moins en moins autonomes dans la gestion de leur champ mais en plus ils vivent avec un malaise grandissant et un sentiment de culpabilité, le fait de se sentir responsables de l’empoisonnement et de la contamination qu’ils ont conscience de diffuser et d’infliger dans les campagnes et les pays où ils vivent. Dans les zones agricoles du tiers monde, parallèlement aux vieux problèmes de manque de terre, de crédits, de débouchés équitables sur le marché, les agriculteurs les mieux lotis ont vu se profiler de nouvelles menaces à l’horizon, ces dix dernières années: la privation de l’eau par les compagnies transnationales et le diffusion de semences brevetées - parmi lesquelles les semences génétiquement modifiées -, qui ont tendance à appauvrir la biodiversité locale millénaire et priver les communautés agricoles de leur indépendance dans la pratique de l’ensemencement et le démarrage de la culture annuelle.

 

Alliances

Les communautés locales ont réagi de différentes manières à ces tendances, en adoptant parfois des formes de luttes plutôt âpres. Le besoin de retrouver un rapport nouveau, et à la fois ancien, avec la terre s’est répandu un peu partout. Alors, assez significativement, à l’autre bout de l’organisation sociale, le continent des consommateurs s’est mis en branle à son tour. La recherche de nourritures saines, non contaminées, non manipulées, provenant de territoires et d’élevages salubres s’est développé avec toute la force d’un grand mouvement culturel. En 2002, les ventes de produits biologiques ont encore augmenté dans le monde, en dépassant de plus de 10% celles de l’année précédentes, pour atteindre un chiffre estimé aux environs de 23 milliards de dollars.

On rencontre donc deux tendances qui font naître de nouveaux espoirs pour notre futur. L’agriculture organique, biodynamique -fruit d’une nouvelle approche technique et scientifique des agriculteurs de la terre- est en train de transformer l’économie agricole en une pratique respectueuse des équilibres naturels, des différentes formes de vie qui se trouvent autour de nous, de l’histoire des plantes et des nourritures que des millénaires de travail paysan nous ont laissé en héritage. Elle est découverte et récompensée par un nombre croissant de citadins. C’est donc une nouvelle frontière de la manière de faire et de consommer la nourriture qui s’est désormais ouverte au niveau mondial. En elle, on trouve, dans une alliance qui n’avait jamais paru si forte par le passé, autant la salubrité de la nature, l’équité des conditions de vie et de travail des agriculteurs que la santé des citadins, la qualité et  la richesse d’une tradition alimentaire qui est également un patrimoine culturel de l’humanité. En 2004 (et en 2006) à Turin, Terra Madre a donné la parole à ce monde en fermentation et une conscience mondiale à ce nouveau chapitre de l’histoire du rapport entre les hommes et la terre.

le 27.02.07 à 18:28 dans Agriculture
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