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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le vignoble de Bordeaux

« Bordeaux, toi qu’illustre tes vins et tes fleuves »
Ausone, fin IVème siècle

 

Le vignoble de Bordeaux est le plus grand vignoble d’Europe  - 100 000 hectares -  et certainement un des plus prestigieux au monde livrant des vins de qualité au sein de diverses appellations contrôlées.

La vigne en Aquitaine n’est pas un don des dieux. Il n’existe pas de vigne sauvage car la nature ne s’y prêtait pas : le climat trop humide et trop frais avec des brumes matinales d’automne, les sols maigres de graves, les vents océaniques, ne favorisant pas le développement naturel de cette plante. Il est le fruit du travail et de la volonté des hommes qui ont décidé d’implanter un vignoble dans une région qui bénéficiait d’avantages géographiques favorables à des échanges économiques. Le pari se révéla payant puisque le vin fit la richesse de toute une région et de la ville au point qu’il est le seul vignoble au monde à avoir pris le nom de la ville.

Le vin a enrichi la ville de Bordeaux grâce en particulier au privilège de Bordeaux, à la présence anglaise et au commerce florissant avec l’Angleterre et les pays d’Europe du nord, grâce aussi à des hommes entreprenants qui surent vendre leur vin, grâce au classement des vins de Bordeaux qui en firent des vins demandés dans le monde entier.

Les structures viticoles sont très différentes, grands châteaux du Médoc, des Graves, de St Emilion et du Sauternais aux petites propriétés familiales des côtes et de l’Entre deux Mers

Face à une concurrence maintenant mondiale, les vins de Bordeaux doivent envisager d’autres stratégies pour garder une place de leader et à l’intérieur même de l’hexagone doivent trouver un positionnement face aux dérives hygiénistes qui font du vin une boisson diabolique et des pouvoirs publics qui scient la branche la plus rentable de l’économie française.

 L’extension de la viticulture ecclésiastique

Durant le Haut Moyen-Âge, les échanges avec l’archipel britannique ont survécu à la chute de l’empire romain jusqu’au IXème siècle quand les Normands se rendent maitres des îles britanniques. Le commerce ne reprendra qu’au XIème siècle.

Le rôle de l'évêque
A Bordeaux, conséquemment à  la débâcle de l’effondrement de l’empire romain, les évêques devinrent les personnages importants des cités. Avoir une viticulture de qualité est un devoir pour l’évêque, pour l’intérêt de sa ville car le vin est source de richesse pour cette dernière et pour le trésor épiscopal, puisque l’évêque se doit d’offrir les vins d’honneur aux hôtes et les celliers épiscopaux servaient de réserve pour les églises et les monastères. Paulin de Pelle, petit fils d’Ausone continue l’exploitation du vignoble familial entreprenant le rajeunissement des vieilles vignes, la continuité de l’usage du vin et faisant pratiquer les meilleures méthodes de culture dans les vignes. Les deux domaines viticoles de l’évêque étaient situées à Pessac en bordure des landes de la rive gauche sur un terrain plat à sous-sol d’alios (exploités directement par l’église jusqu’à la fin du moyen-âge ils existent encore) et à Lormont sur un coteau abrupt qui domine la Garonne.


Moines travaillant la vigne.

 
Et des chanoines
Les vignobles urbains et péri-urbains se sont aussi développés avec la création des collèges de chanoines qui entretiennent des vignobles dans le proche voisinage des cloîtres. Le vin est indispensable aux monastères pour le service divin, pour leur usage personnel et pour respecter leur devoir d’accueil et de charité. En plus d’étendre les vignobles, ils ont formé des viticulteurs laïques qui ont conçu envers la vigne un respect et une affection qui se fera sentir longtemps et un savoir-faire qui se transmettra de génération en génération.

Dans tout le Bordelais, la diffusion du culte de St Vincent est une preuve de l’extension du vignoble.

 

 

 XI-XIIème : défrichements et renouveau économique, commercial et culturel

Les moines défrichèrent dans le Médoc autour de l’abbaye de Verteuil et de Ste Croix de Soulac et autour des grandes abbayes de la région : la Sauve-Majeure, Blasimon, Saint Ferme, Gradignan et des sauvetés placées sous la protection des monastères

Le paysage suburbain très marqué par la vigne qui s’affirma de plus en plus comme la culture prépondérante à partir des années 1220-1250, en partie sous l’effet d’une forte demande à l’exportation. Les sols graveleux et bien égouttés de la basse terrasse alluviale qui du Bouscat jusqu’à Bègles, dominaient de quelques mètres la cité médiévale dans les secteurs du Mont Judaïque et de Saint Julien forment vignoble suburbain, dit graves de Bordeaux. La paroisse de St Seurin  s’est couverte de vignes au XII et XIIIème, du mont Judaïque aux confins des villages de Caudéran et du Bouscat.

 A la fin du XIIème siècle,  un second front de colonisation viticole est ouvert au sud de Bordeaux sur la rive gauche autour de l’église de sainte Eulalie, le long du chemin de Pessac et du chemin de St Jacques de Compostelle près de St Genès à Talence et autour de l’abbaye de Ste Croix, aux limites de Bègles et à Paludate, autour des petits bourgs de Cadaujac, et Léognan, et le long de la Garonne  de Podensac à Langon. Et sur rive droite à Queyries et la Souys en face la ville de Bordeaux et plus à l’ouest autour des villages de Blanquefort, Macau et Ludon
On parle de grande viticulture dans les côtes autour de Blaye et surtout de Cenon et Floirac jusqu’à St Macaire et même à l’intérieur des terres dans le Libournais autour de St Emilion et dans le Bas-Médoc au nord de la jalle de Blanquefort
 

Portail de l'église SaintMichel, XVe siècle: un vigneron du Moyen-âge

 

Arrivée des bourgeois dans la viticulture
En 1199,  les bourgeois bordelais demandèrent à Aliénor d’abolir des coutumes qui entravaient une libre exploitation des vignes en utilisant un argument irrésistible : « Laissez-nous jouir librement de nos vendanges et la ville s’enrichira. Vous allez perdre des prérogatives, mais la prospérité de la ville et l’augmentation e nombre de bourgeois vous voudront de grands avantages. »

Ces coutumes stipulaient que le seigneur écartait toute concurrence importune quand il voulait vendre son vin et se réservait, sous forme de redevances, une certaine part du produit de la vigne et étaient devenues intolérables aux bourgeois par suite d’une augmentation réelle ou escomptée de la valeur du produit des vignes.

 

Charte du 1 juillet 1199, Aliénor cède et déclare que la situation de la ville sera grandement améliorée par la suppression des coutumes « mauvaises et contraires aux usages comme au droit » dont souffrait le vignoble environnant.

 
Moine buvant, stalle de l'église abbatiale de Vertheuil-en-Médoc, XVe siècle

 XIIème : naissance d’un grand vignoble commercial

Le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt eut pour conséquence un essor très important des exportations viticoles du Bordelais

En moins de quarante ans, Bordeaux sort du long effacement qu’avait connu son économie depuis les invasions normandes et allait s’élever dans le grand commerce d’exportation du vin à la place éminente qui est restée la sienne jusque dans les temps modernes.

La raison principale de la fortune des Bordelais était due à la qualité de leur vin et à leur habilité politique durant les guerres contre la Guyenne

 De 1210 à 1220, les arrivages de vins de Bordeaux en Angleterre ne cesseront d’augmenter et après la reddition de La Rochelle, Bordeaux va pouvoir prendre sur le marché britannique une position dominante. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, en 1307 : 1000 tonneaux de vin de Bordeaux arrivent en Angleterre pour le couronnement Edouard II et durant le 1er tiers du XIVème siècle 725 à 1360 navires chargés de vins accostèrent à Bristol et Southampton.
 

Le privilège de Bordeaux
Le vignoble de Bordeaux ne suffisait plus et l’Aquitaine intérieure dénommé le haut pays : Quercy, Agenais, Toulousain, Périgord devint alors un concurrent redoutable.

Tout d’abord, les bourgeois obtinrent en 1214 du roi Jean sans Terre l’exemption des taxes et coutumes perçues sur les vins provenant des vignes des bourgeois de Bordeaux.
Un ensemble de règlements « police générale des vins » réservait aux seuls bourgeois de Bordeaux le monopole de la vente du vin produit dans le district suburbain où se trouvaient leurs vignes. Leurs vins étaient écoulé en priorité et enfin les autres vins de la sénéchaussée. Ils étaient aussi les seuls vendeurs avec qui les courtiers étrangers négociaient.
Pour la petite histoire, Jean sans Terre était un grand amateur des vins de Bordeaux
. En 1214, il écrit au connétable de Bristol :
«  Vous avez bien fait de me signaler l’arrivée à Bristol des vins de ce marchand qui s’est trouvé à Bordeaux, alors que j’étais moi-même en cette ville. Si ces vins-là sont bons, envoyez-moi les hommes qui les ont amenés, afin que nous traitions avec eux, vous et moi. »
Le vin fut certainement à son goût puisqu’en 1215 : Jean sans Terre achète pour son usage personnel 120 tonneaux de vins de Gascogne amenés par les marchands bordelais.

La période faste pour la vente du vin était celle qui suit les vendanges, on vendait le mieux le vin de l’année juste mis en fûts.
En 1241 : défense fut faite de descendre les vins du haut pays avant la saint Martin afin de ne pas être gênés par la concurrence des vins du haut pays durant la période des foires. Un peu plus tard, les pays qui tenaient tête à Edouard III  situés en amont de st Macaire ne pourront tant que la rébellion durera faire descendre leurs vins à Bordeaux qu’après la Noël. Cet acte de 1373 prend désormais le caractère d’une coutume sanctionnée par l’approbation royale. Repris plus tard par Louis XI et ne fut aboli qu’en 1776 et s’étendra en 1401 aux vins du Médoc. Le Médoc qui ne peut exporter ses vins sans passer après ceux de Bordeaux  se développera plus tardivement.
Ce privilège fera aussi la fortune des négociants bordelais car les vins du haut pays sont stockés dans leurs chais des Chartrons où ils firent construire de riches demeures.

Après la chute de La Rochelle, Bordeaux devint le port atlantique du domaine anglais. Et partout où on le put on planta de la vigne même sur les terres de cultures vivrières qui finirent par manquer. La demande de vin est telle à la fin du XIIIème qu’on eut recours aux vins du haut pays et cela relança les exportations de vins des villes d’Aquitaine. Au XIVème, le négoce du vin va prendre le pas sur les activités économiques.  Environ 83000 tonneaux de vins sont expédiés deux fois l’an ;  à l’automne les vins de Bordeaux et au printemps les vins du haut pays.
 


Chapiteau du cloître de la cathédrale saint-Andre, XIVe siècle
 Sources des photos: Bordeaux, l'art et le vin de Robert Coustet

Mots-clés : Technorati

le 11.09.09 à 11:18 dans Vins
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Commentaires

Passionant !

Merci de ces passionantes recherches sur cet excellent vin !

Floradiane - 13.09.09 à 09:47 - # - Répondre -

bonjour , je fait un exposé sur le bordelais et donc son , et je voulais savoir ou vous aviez trouvé la cart de topographie de bordeaux qui m'interesse tt particulièrement?
merci de votre réponse

koko - 05.11.10 à 08:11 - # - Répondre -

Cette carte provient du livre de Michel Bochaca "La banlieue de Bordeaux, Formation d'une juridiction municipale suburbaine (vers 1250-1550)" paru aux éditions de L'Harammtan en 1997. On la trouve p 178.

segolene - 05.11.10 à 14:53 - # - Répondre -

photo

 Votre article est passionant, mais une photo m'intéresse particulièrement ; celle intitulée "Moines travaillant la vigne". Pourriez-vous me dire s'il est possible de se la procurer dans une définition plud haute? et si oui, à qui dois-je m'adresser?
Merci d'avance.
Christine

Anonyme - 01.02.11 à 14:34 - # - Répondre -

Re: photo

Comme je l'écrit à la fin de l'article, les photos proviennent du livre de Robert Coustet, "Bordeaux, l'Art et le Vin".
Il s'agit d'un projet de vitrail de l'atelier Dagrand, c'est un dessin au fusain et à l'aquarelle, Elle appartient à la collection Yves Raymond et le cliché à Alain Béguerie.
A part le scan que j'ai fait à partir de la photo du livre, je n'en connais pas d'autres reproductions.

Peut-être qu'en contactant la maison d'édition L'Horizon Chimérique 18 rue Roger Allo à Bordeaux, vous aurez davantage de renseignements. Cette maison d'édition possède une site: http://horizon-chimerique.net.

segolene - 01.02.11 à 15:05 - # - Répondre -

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